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Dans son quatrième numéro (mars 2013), notre Lettre d’information avait déjà consacré son Thema à l’application de la loi du 18 mai 2006 modifiant certaines dispositions du Code civil en vue de permettre l’adoption par des personnes de même sexe. Il s’agissait alors principalement de mettre cette nouvelle législation en perspective en l’articulant avec la réforme de l’adoption qui l’avait précédée d’une année et de fournir également quelques premières données chiffrées.
Plus de 10 ans après l’entrée en vigueur de cette loi, il nous a paru intéressant d’élargir notre regard en donnant la parole à un père adoptif, à des professionnels ayant encadré des adoptions homoparentales, à une chercheuse ayant consacré sa thèse de doctorat à cette thématique ainsi qu’à une personne œuvrant dans la protection de l’enfance et l’adoption dans un pays d’origine africain.
La Direction de l’Adoption-ACC tient à remercier chacune des personnes qui ont ainsi accepté de partager leurs témoignages, leurs expériences et leurs réflexions.
Témoignage d'un homo-papa
David, papa d’un petit garçon
Dans un couple d'hommes, comme dans beaucoup d'autres couples, la question d'avoir des enfants n'est en général pas la première que l'on se pose. S’interroger sur le désir d’avoir des enfants est le résultat d'un processus et, en principe, le constat d’une vision commune. Ce ne fut pas différent dans notre couple. Il était crucial, selon moi, avant d'envisager d'avoir un enfant, d'être sûr de pouvoir offrir le cadre et la stabilité suffisante pour pouvoir se lancer dans le projet d’accueillir un enfant.
Lorsque nous avons concrètement parlé de démarches pour avoir un enfant, je connaissais mon époux depuis déjà neuf ans. En Belgique, nous avons la grande chance d'avoir une législation ouverte, bien plus que dans 90% des pays du monde. Cette ouverture permet aux homos désirant être parents d’envisager un projet de parentalité sans devoir mentir et sans se mettre hors la loi. Après avoir réfléchi à la coparentalité et à la gestation pour autrui, nous sommes, mon époux et moi, tombés d'accord sur le fait que l'adoption nous correspondait mieux. Notre vision commune, nos conceptions de la parentalité et notre ouverture sur le passé de l'enfant nous ont permis d'aborder avec sérénité et enthousiasme un projet d'adoption.
Notre participation aux séances de préparation à l'adoption a été très instructive, elle nous a permis de trouver des réponses à nos nombreuses questions, nous a permis de démystifier et clarifier ce qu'était l'adoption. Les séances de préparation ont également été l'occasion de belles rencontres avec d'autres candidats adoptants. Avant les premières séances de sensibilisation collective, mon époux et moi redoutions un peu l'attitude que pourraient avoir les autres candidats adoptants à l'égard d'un couple de même sexe. Nous avons été très vite rassurés et agréablement surpris de l'attitude ouverte des autres couples. Assez vite, nos intérêts communs pour l'adoption se sont montrés plus forts que les préjugés ou les origines socio-culturelles différents. Une confiance s'est établie et nous nous sommes sentis à l'aise et en confiance durant les séances.
La question de l'adoption interne ou internationale ne se posait pas pour nous, aucun des organismes d’adoption agrées (OAA) n'ayant d'accord avec l'un des rares pays ouverts à l'adoption pour les couples de même sexe. A l'époque, nous avons pu assez vite rentrer en phase d'élaboration de notre projet avec un OAA. Ce dernier s'est montré ouvert et, la question des quotas relatifs aux types de couples (hétéros/homos) étant mise à part, nous ne nous sommes pas sentis jugés en tant que couple d'hommes mais en tant que couple, avec ses forces, son histoire, ses expériences, ses faiblesses. Lorsque, à l’issue de nombreux entretiens assez « intrusifs », nous avons appris que nous étions acceptés sur la liste d’attente, ce fut un véritable jour de fête, mettant un terme à une difficile période de doutes et ouvrant enfin la voie à la concrétisation de notre projet.
S'ensuivit une longue, très longue période d'attente en espérant des nouvelles de l’OAA qui nous annoncerait qu'un enfant allait nous être confié. Difficile d'estimer quand le moment tant attendu arriverait. Les informations vagues de l'OAA données à chaque appel de notre part, les tentatives de croisement des informations échangées avec d’autres candidats adoptants rencontrés à l'une ou l'autre occasion... rien ne nous permettait de fixer des échéances sur une attente qui paraissait interminable.
Quand enfin l'appel tant attendu arriva, tout s'est enchainé, s'est emballé pour la dernière ligne droite. La difficile période d’attente fût vite balayée par le bonheur de la rencontre avec l'enfant qui nous a été confié.
Cela fait trois ans déjà que j'ai vu naître en moi des émotions insoupçonnées, un Amour intense et simple pour mon enfant. Depuis que l'on nous a confié cet enfant, nos vies ont basculé. Nous sommes passés dans un autre monde, plus responsable et sommes tournés vers ce petit être qui fait notre bonheur au quotidien. Notre couple découvre quantité de nouvelles choses, une joie intense de s’occuper de notre enfant, de le voir grandir et progresser.
Une histoire de parents banale, direz-vous? Un parcours d'adoption comme tant d'autres, direz-vous ? Oui, car un couple de même sexe qui s'aime et qui veut accueillir un enfant n'est pas différent des autres couples.
Au quotidien, nous avons parfois l'impression de devoir prouver que, parce que nous sommes un couple atypique, nous devons faire mieux que les autres. Nous avons le sentiment de devoir démontrer, face aux regards parfois dubitatifs, que nous sommes au moins aussi aptes que des couples hétéros à élever un enfant. Une pression sociale est encore présente, nous avons souvent l'impression d'avoir un rôle de pionniers à jouer pour contribuer à faire avancer les mentalités. Si nous ressentons parfois des regards dubitatifs et des jugements, ceux-ci laissent vite place à un regard "banal", tel que celui posé sur tous les parents.
Nous devons être prévoyants pour que le regard porté sur notre enfant ou l’attitude du personnel en contact avec notre enfant ne soit pas négative. Nous mettons des gants pour avertir de la particularité de notre composition familiale, pour éviter que des questions puissent mettre notre enfant mal à l’aise. Nous sommes très clairs vis à vis de notre enfant sur le parcours qui a mené ses parents de naissance à le confier à l'adoption; nous n'avons pas la tentation de laisser croire que nous sommes ses parents biologiques. La situation est claire, nous sommes transparents sur son histoire et avons confectionné différents outils sur son histoire. Notre enfant est conscient qu’il a deux papas, que la situation est différente de celle de la plupart de ses copains de crèche ou d’école. Il voit tout type de familles : monoparentales, parents divorcés, hébergeant d’autres membres de famille… mais pour lui, comme l’indique le titre d’un livre pour enfant « C’est tout à fait normal »1 . Les jeunes enfants sont ouverts, ils découvrent des situations nouvelles tous les jours, rien qu’ils ne puissent comprendre – à moins que les parents ne leur inculquent des préjugés.
Soyons optimistes quant à l’évolution de la société pour penser que, dans dix ans, l’adoption de couples de même sexe sera tellement chose commune que cela n’aura plus besoin d’être traité comme un sujet de "découverte" dans une newsletter de l’ACC.
1 « C’est tout à fait normal » de Thaïs Vanderheyden – Editions CLAVIS
Cheminement de professionnels sur l’encadrement du projet d’adoption porté par les couples de même sexe
Les équipes pluridisciplinaires des deux organismes agréés d’adoption (OAA) ONE-Adoption et Service d’adoption Thérèse Wante livrent ci-dessous le témoignage de leurs expériences et de leurs réflexions suite aux projets d’adoption homoparentales qu’elles ont été amenées à encadrer depuis 2006
Avec la loi de 2006 autorisant l’adoption par des couples de même sexe, le législateur a marqué un pas symbolique vers l’acceptation et la reconnaissance de la diversité des formes familiales et des modes de vie conjugale contemporains.
Pour nos services, comme pour la majorité des acteurs engagés dans les débats précédant le vote de la loi, la question s’est avérée très complexe parce qu’elle amenait à réinterroger les repères avec lesquels nous pouvions travailler jusque-là. Famille, filiation, sexualité… Autant de domaines qui ont dû faire l’objet d’un repositionnement éthique et professionnel.
Le caractère structurant de la différence des sexes dans la construction identitaire
Nous référant aux enseignements de la psychanalyse pour la construction de l’identité de l’enfant, nous savons qu’il importe pour lui d’avoir affaire à des parents qui vont pouvoir lui servir de modèles d’identification. Dans cette identification, la place du tiers, ouvrant à l’altérité, est particulièrement importante.
Ainsi, la vision traditionnelle des rôles sexués de père et mère a longtemps laissé penser que la fonction contenante, accueillante, nourricière, était remplie par la mère, tandis que la fonction de tiers séparateur, ouvrant aux lois de la société et à ses interdits, était remplie par le père. De cette vision semblait émerger des craintes à envisager que des personnes en couple de même sexe ne répondent pas correctement à ces deux fonctions structurantes.
Toutefois, du fait de la rencontre avec les premiers candidats à l’adoption en couple homosexuel, nous avons rapidement replacé ces enjeux structurants sur un plan symbolique, c’est-à-dire centrés sur les significations psychologiques et relationnelles mises en jeu avec l’enfant dans la construction de son identité.
Ce travail a commencé avec les couples de femmes, dans un cadre d’adoption intrafamiliale, répondant au souhait de celle des deux qui n’avait pas porté l’enfant d’être reconnue comme son autre parent. Nous avons ainsi cherché, dans les entretiens que nous avons menés avec elles, à repérer la présence d’une dimension d’altérité et avons insisté sur l’importance de pouvoir parler à l’enfant de ses origines, en ce compris de la nécessité d’intervention d’un homme pour qu’il soit là. C’est ainsi, notamment, que nous avons évoqué avec ces femmes l’importance de la manière dont elles souhaitaient se faire appeler par l’enfant, et du sens d’observer que la différence vient s’énoncer à cet endroit – en distinguant « maman » de « mouna », par exemple. Le travail clinique que nous avons effectué depuis 10 ans nous a systématiquement amenés à entendre la singularité de chaque configuration familiale chez ces couples de femmes. A chaque fois que la tentation nous prenait de trouver une constante, un nouveau couple était aussi là pour venir l’annuler.
L’ouverture de l’adoption aux couples de même sexe nous a amenés à envisager, un peu plus tardivement, l’encadrement du projet de couples d’hommes. A la différence des couples de femmes évoqués ci-dessus, il s’agissait ici d’adoption extrafamiliale, puisqu’il s’agissait de confier à l’adoption un enfant non familier des candidats. D’emblée, les questions similaires à celles que nous nous étions posées avec les femmes ont émergé. Quelle place pour l’altérité ? Quelle articulation suffisante entre les fonctions maternelle et paternelle ? Quelle place laissée à la mère de naissance dans la transmission de ses origines ?
Ce qui nous avait semblé structurer l’évaluation du projet d’adoption des couples de femmes a été adapté en vue du travail avec les couples d’hommes. Depuis lors, nous disposons, sur le plan de l’évaluation des dimensions qui peuvent structurer la construction de l’enfant dans son identité sexuelle, d’une grille de lecture qui vaut, somme toute, tant pour les couples de même sexe que pour les couples hétérosexuels. Nous en sommes même arrivés à remettre en question la notion d’ « homoparentalité ». En effet, la particule « homo » signifie « même, semblable », laissant imaginer qu’à travers ce concept, il s’agit pour l’enfant de grandir avec deux parents identiques, semblables. Or, ce n’est pas parce qu’un enfant a deux parents de même sexe biologique qu’il a affaire à deux parents qui occupent la même position sexuelle de sujet, entre eux et vis-à-vis de lui. De même que ce n’est pas parce qu’un enfant a deux parents de sexes différents au plan biologique qu’il a affaire à deux parents qui occupent, sur le plan symbolique, des positions suffisamment différenciées.
L’incidence de la discrimination sur la construction identitaire de l’enfant adopté
Un autre aspect lié à l’évolution de notre cheminement par rapport à l’adoption par les couples de même sexe porte sur le vécu de l’enfant qui grandit avec deux parents de même sexe, et en particulier le risque, pour l’enfant, de connaître une « double discrimination ».
L’adoption, en effet, ne manque pas d’interroger la légitimité pour un enfant de grandir avec ses parents, faute de filiation biologique. La vérité du lien de filiation est alors souvent interrogée, tant par l’entourage que par l’enfant lui-même.
Envisager l’adoption pour les couples de même sexe, c’est-à-dire pour les couples confrontés par choix d’orientation sexuelle à une impossibilité de concevoir un enfant, nous a au départ laissé penser que l’interrogation de la légitimité du lien de filiation en serait dès lors renforcée. Ceci nous a laissé craindre un risque de préjudice pour l’enfant, en particulier celui de connaître, en quelque sorte, une « double discrimination » : il n’est doublement pas un « vrai enfant » de ses parents.
L’évolution des mœurs a sans doute contribué, aujourd’hui, à nuancer ce positionnement de départ. D’une part, en effet, la possibilité pour les couples de même sexe de devenir parents semble socialement peu contestée et les adoptants en couple de même sexe que nous avons rencontrés n’ont que très peu rapporté de situation dans lesquelles leur statut de « parents-homos » aurait fait l’objet d’attaques et de discriminations. D’autre part, nous n’avons pour notre part jamais constaté que le fait, pour un enfant, de vivre avec deux parents de même sexe avait porté un quelconque préjudice à son développement et à la satisfaction de ses besoins psychiques. Ces constats cliniques sont, par ailleurs, suffisamment documentés par plusieurs travaux de recherche menés à l’étranger sur le sujet.
Néanmoins, nous portons une certaine attention, dans le cadre des entretiens d’évaluation des projets d’adoption de couples de même sexe, à la sensibilité des candidats au regard extérieur et à l’ancrage de leur projet. Il s’agit pour nous de nous assurer que les candidats sont capables de se mettre à la place de l’enfant et de son propre vécu éventuel de discrimination du fait d’avoir deux papas ou deux mamans, et qu’ils disposent par conséquent, pour le projet d’adoption, d’assises narcissiques qui offrent des garanties suffisantes pour résister au regard critique ou aux interpellations de la société à leur égard.
"Parenté, filiation, origines - Le droit et l'engendrement à plusieurs"
Sophie Lazard est travailleuse psycho-sociale. Elle a travaillé de 1992 à 2012 au sein de l’organisme agréé d’adoption ONE-Adoption ; elle y a notamment collaboré à l’encadrement des premières adoptions homoparentales. Elle a tenté de résumer ci-dessous sa contribution à l’ouvrage collectif « Parenté, filiation, origines - Le droit et l’engendrement à plusieurs » (sous la direction de H. Fulchiron et de J. Sosson) paru en 2013 aux Editions Bruylant
Si l’on excepte la crainte des pressions conformistes exercées par la société sur la famille homoparentale, une question finalement subsiste, qui mérite d’être mise à l’épreuve de la clinique. Quel serait l’impact de cette homoparentalité sur le psychisme de l’enfant ? Autrement dit, qu’est-ce qui opère, dans sa constitution et son évolution, de la différence des sexes de ses parents ? Nous partagions l’idée, confortée par notre orientation analytique, qu’il y a de manière structurelle une zone de non-rapport entre les sexes. Que sans celle-ci, pas de séduction, de désir, d’altérité dans le couple, et dans la famille pas de complexe d’Oedipe, de triangulation, de fonction paternelle, d'apprentissage.
Dans un premier temps, nous avons reçu pour des adoptions intrafamiliales de très nombreux couples de femmes qui avaient organisé la naissance de leur enfant par PMA (procréation médicalement assistée). Nous rencontrions tant les mères que leurs enfants et adolescents, qui sont venus témoigner de ce qu’étaient leur quotidien, leurs questions, et de ce que représentait pour eux l’adoption par la conjointe de leur mère biologique1. Ensuite les couples d'hommes sont arrivés, ayant terminé une préparation d’adoption extrafamiliale. Au fil de ces entretiens, nous nous rendions à l’évidence : les couples de même sexe fonctionnent de la même façon que les autres. A savoir que le sexe organique de quelqu’un ne préjuge pas de sa part de féminité ou de masculinité ni de la manière dont ces identifications ou dont cette «répartition» s’exerce dans le couple. D’ailleurs, nous étions bien placés pour savoir que parmi les innombrables couples que nous recevions, ceux au sein desquels la femme adopte une attitude plus masculine et autoritaire que son conjoint sont nombreux.
L'évidence, en écoutant les couples de femmes, est que la fonction paternelle y fonctionne généralement bien. Pour autant qu’il y ait réellement plus d’altérité entre elles que du semblable, l’une des deux endosse la responsabilité d’ouvrir l’enfant au monde et d’empêcher une relation trop fusionnelle avec l’autre (pas forcément la mère biologique, d’ailleurs), et triangule la relation affective, tout en soutenant l’enfant dans le langage. L’autorité se partage selon le caractère de chacun. Dans le travail de réflexion entamé avec ces couples, une phase nécessaire concernait l’appellation de chacune des mères par l’enfant et l’enjeu de cette nomination, ensuite la narration à l'enfant de sa conception et la place du donneur dans cette histoire. Pour ce faire, beaucoup de couples avaient inventé un terme, puisqu'ils l’avaient substantifié - «la manou de Colin vient tantôt» -, de manière à ce qu’il puisse être utilisé aisément par l’enfant mais aussi par les tiers, en famille, à l’école… Les couples moins différenciés restant encombrés de deux « mamans », vite confondues par les tiers et empêchant l’enfant de les désigner.
En écoutant les enfants et adolescents, nous estimions que, dans la majorité des cas, le sentiment de filiation vis-à-vis du parent non biologique était aussi solide que pour le parent biologique, même si de nature différente, comme envers un père et une mère ; que la nature de leur conception est connue et assumée ; que la reconnaissance de l’autre sexe, la séduction et la sexualité ne sont pas spécialement inhibées ni orientées vers l’homosexualité, les filles espérant plaire aux garçons, et vice-versa. Nous avions souvent le sentiment d’une grande maturité concernant l’amour et le couple. Les jeunes témoignaient également des questions et jugements sur leur famille qui leur étaient adressés, vécus avec plus ou moins de facilité.
Après avoir suivi leur préparation à l’adoption extrafamiliale (plus longue), les couples d’hommes sont arrivés dans notre organisme quelques mois après les couples de femmes. Nous nous doutions, et ils nous l'ont confirmé, que leur volonté de fonder une famille suscitait plus de réactions hostiles. De fait, leur parcours était souvent douloureux, surtout par rapport à leur père et leur culpabilité à le faire souffrir. Comme s’ils lui avaient fait subir un échec personnel en aimant un homme. Certains témoignaient avoir subi une rupture de reconnaissance - de filiation - d'autant plus cruelle qu’ils s’apprêtaient à devenir père eux-mêmes. Il a été intéressant néanmoins de constater que nous nous sommes plus rarement posé la question de la présence d’identifications féminines pour un enfant chez les couples d'hommes, que la présence d'identifications masculines chez les couples de femmes. Les hommes, homos ou non, se passeraient-ils moins volontiers des femmes que les femmes ne se passent des hommes ? En tout cas, leur désir d’enfant, d’être parent, était tout aussi profond, entier et sincère que pour les autres couples. La différenciation des rôles et l'altérité dans le couple l'étaient aussi, de façon souvent plus marquée que dans bien des couples hétéros. Quant à leur capacité à se débrouiller avec la représentation des parents de naissance de l’enfant, thème capital à explorer avec les candidats à une adoption extrafamiliale, la question s’est posée pour eux avec autant de bonheur ou de malheur que pour les couples hétéros. Ils avaient en outre la chance de n'être pas passés, contrairement à beaucoup de ces derniers, par l'éprouvante découverte d'une stérilité et ses écueils narcissiques, dont le deuil du projet d'enfant biologique. Dans ce sens, ils présentent moins le risque de vivre l’enfant conçu par d’autres comme un usurpateur de l’enfant tant désiré. Des couples suffisamment vivants, désirants, ouverts aux autres, souples dans les rapports humains, sans projet rigide pour l’enfant, aspects auxquels nous sommes également attentifs dans un projet d’adoption, que le couple soit homo ou hétéro.
Mais confier un enfant inconnu à un couple implique, outre notre responsabilité, la volonté de la personne qui demande l’adoption de son enfant : sa mère de naissance. Ces enfants ne sont pas trouvés, abandonnés, ni pupilles de l’Etat par une naissance sous X comme il n’en existe qu’en France ; ils sont toujours pour la loi les enfants de leur mère (de leur père légal quelquefois mais plus rarement) ; il s’agit plus rarement aussi d’enfants non nouveau-nés confiés à l’adoption par décision de justice. Dans les premières semaines de vie du nourrisson, la mère, qui a le plus souvent caché sa grossesse, doit prendre une décision cruciale : prévenir le géniteur (en faire un père), la famille, et rester sa mère, ou lui donner de nouveaux parents. Dans notre organisme, nous donnons un rôle actif aux mères qui le souhaitent dans la prise de cette décision. Soyons clairs : les mères de naissance ne peuvent choisir les adoptants, tout comme les adoptants ne peuvent choisir l’enfant. Néanmoins, travailler ces représentations - souvent idéalisées - qu’elles ont des futurs adoptants leur permet de mieux mesurer leur choix, la perte définitive de cet enfant, et de mieux l'assumer, en se le représentant auprès de parents réels, qui ont tel métier, qui vivent dans tel environnement,… Cela fait partie de l’élaboration de leur projet d’adoption, souvent ambivalent après la naissance de l’enfant : environ la moitié d’entre elles, en effet, constateront qu’elles ne sont pas prêtes à laisser leur place à d’autres. Mais si leur projet se confirme, nous leur parlons d'un couple choisi en équipe, non parce qu’il répondrait à un profil exigé par elles, mais parce que ce choix tient compte de ce qui ferait difficulté pour elles. La plupart du temps, le couple proposé est accepté. Alors seulement, elles s’engageront, pour toujours, à ne plus intervenir dans leur vie de famille. Les adoptants seront prévenus, et la rencontre avec l'enfant organisée. Nous leur avions indiqué auparavant que le seul critère commun aux adoptants en attente chez nous est la confiance que toute l’équipe, après un long travail d’entretiens, leur accorde. On leur dira que des couples d’hommes, aussi, sont en attente. Il n'est pas rare qu'elles aient une réaction négative, mais certaines envisagent cette possibilité. Le délai d’attente pour ces couples s’est révélé plus long que pour d’autres, mais moins que nous ne l’avions imaginé au départ.
Quant au travail avec les couples homosexuels, s’il était dans l’ensemble identique à celui mené avec les hétérosexuels, nous devions entendre, à partir de leur situation, quelle représentation des parents de naissance traversait leur imaginaire de l’adoption, et quelle légitimité celle-ci leur donnait en tant que parents. Par exemple, du côté des couples de femmes, il peut y avoir une tendance à attribuer au géniteur/donneur une fonction insignifiante, technique. Or, l’homme de la semence a des traits que l’enfant voit dans sa propre image. Pour lui, ce visage inconnu, comme la personnalité qu'il recèle, peut devenir une question extrêmement insistante. Réduire le donneur au sperme, c’est négliger l’être de l’enfant, l'origine de son corps, même s’il n’est pas question de considérer le donneur comme « papa », ce qu’il n’est évidemment pas. Ainsi, leur représentation de l’homme, de la génitalité, et leur capacité à imaginer la part qui pourrait lui est prêtée par l’enfant dans sa constitution même, représentent une grande part du travail avec elles. Du côté des couples d’hommes peut exister la culpabilité d’usurper la place d’une femme. J’avais un ami qui avait un très grand désir d’enfant mais refusait d’adopter, malgré le souhait de son mari. Il ne pouvait pas s’autoriser à usurper, disait-il, la place d’une mère. Il ne pouvait, par contre, être très explicite sur ce qu’était pour lui « une mère ». Ses représentations étaient idéalisées, faites de clichés peu réalistes, dont il finit par rire lui-même. Il fut agacé de réaliser qu’il n’y avait pas de dénominateur commun des mères, si ce n'est l’engendrement. Il y avait là un idéal de mère pure, bienveillante, protectrice, féminine dont il reconnaissait que, finalement, aucune mère ne pouvait y prétendre totalement, certainement pas la sienne. Et une femme pas plus qu’un homme ? C’était une pure image, un fantasme, souvent opposé à celui de la marâtre, dont la haine et la jalousie accable l’enfant sans la protection de l’amour maternel. Difficile pour ces hommes, non pas d’occuper une fonction maternelle, mais de s’y autoriser. Pouvoir leur dire que la mère de l’enfant, avec nous, leur fait confiance, est donc très important pour eux. Toutefois, il va de soi que les couples hétéros sont soumis au même travail d’élaboration sur ces représentations, qui font écho différemment selon les histoires de chacun. Ce n'est donc pas l'homosexualité en soi qui impose ce travail, mais la particularité de la filiation et de l’engendrement à plusieurs auxquels ces couples doivent se soumettre, tout comme d'autres couples stériles.
Enfin, concernant l’évolution des enfants confiés ces dernières années à des couples d’hommes, il n’y a rien à signaler concernant ces familles en particulier, mais nous avons peu de recul. Le même écueil nous semble devoir être évité que dans les autres familles adoptives: ne pas sacraliser l’enfant ni le surprotéger, s’autoriser à l’éduquer, le limiter, le contraindre. Si certains enfants nécessitent une protection affective renforcée et une grande promiscuité un premier temps en raison d’un début de vie traumatisant, ce n’est pas le cas de tous, et ne doit pour aucun entraver le chemin d’autonomie et d’intelligence concernant sa venue au monde et son changement de filiation.
1 Plus tard, en 2014, la loi belge a attribué la filiation à l’enfant né au sein d’un couple de même sexe marié ou cohabitant légalement sans devoir établir la filiation par un jugement d’adoption.
« Des nouveaux regards sur des nouvelles familles » : réflexions issues d’une recherche européenne sur l’adoption homoparentale
Roberta Messina, Psychologue clinicienne, Chercheuse et Doctorante FNRS, est spécialiste dans l’adoption homoparentale. Elle s’investit dans le soutien des familles et la prise en charge du développement des enfants
Dans les années 80, l’homosexualité était une pathologie dans le guide référentiel diagnostique (DSM). Comment aurait-on pu imaginer à cette époque l’idée même d’une ouverture de l’adoption aux couples de même sexe ? Si cette perspective semblait utopique, aujourd’hui, pas plus de 30 ans plus tard, tout semble avoir changé. L’adoption par des couples homosexuels est devenue une réalité légale et une possibilité concrète en Europe ainsi que dans plusieurs autres pays du monde.
Pourtant, la légalisation de l’adoption homoparentale continue à soulever de nombreux débats ainsi qu’à diviser l’opinion publique. Si les attitudes envers le mariage homosexuel tendent à être de plus en plus ouvertes, le sort des enfants ainsi que leur développement posent question, suscitent des inquiétudes et déchainent les débats. Pratiquement, la question centrale reste la suivante : va-t-il de l’intérêt de l’enfant adopté, déjà fragilisé par son abandon parental biologique, d’être placé dans une famille sujette à la singularisation et à la stigmatisation sociale ? Le débat se résume donc sur une opposition entre « le droit de l’enfant », défendu par la Convention internationale des droits de l’enfant et « le droit à l’enfant » réclamé par les homosexuels ou sympathisants. Que nous dit la littérature scientifique à cet égard ? Au cours des dernières années, un nombre important d’études a été consacré à l’homoparentalité dans le but de vérifier tant les capacités parentales des homoparents, que le bon développement des enfants au sein de ces familles. Pourtant, parmi les nombreuses études dans ce domaine, très peu se sont focalisées sur les familles ayant choisi l’adoption comme modalité de filiation. Ma recherche doctorale, sous mandat FNRS, a été conçue avec l’objectif de combler le vide existant dans la littérature sur cette nouvelle réalité familiale. Ma volonté a été de recentrer les débats sur les principaux intéressés, en donnant la parole aux parents ainsi qu’aux enfants. Pendant trois ans, je me suis donc consacrée à la rencontre de familles homoparentales adoptives résidant en Belgique, France et Espagne. L’objectif a été d’explorer le vécu subjectif des homoparents adoptants et de répondre aux questions suivantes : « Que signifie être parent homosexuel adoptant aujourd’hui en Europe ? Quelles sont les spécificités de leur cheminement avant de décider de devenir parents adoptifs ? Quels sont les enjeux de leur transition à la parentalité adoptive et, surtout, quels sont les défis auxquels ils sont confrontés dans la période post adoption ? ». L’attention ne s’est pas centrée seulement sur les parents, mais aussi sur l’exploration de la construction identitaire des enfants dans ce contexte : « Quelle est l’expérience subjective de ces enfants ? Quelles sont les spécificités de leur construction identitaire à l’épreuve non seulement de la situation adoptive, mais aussi de l’homoparentalité ? Quelles sont leurs questions, leurs demandes tout au long de leur développement ? ». Les résultats de cette recherche ouvrent d’intéressantes perspectives pour la compréhension, le soutien ainsi que le travail clinique avec ce type de familles. Interview par interview, famille par famille, brique par brique, un réel corpus théorique et pratique s’est créé pour soutenir les acteurs sociaux en interaction avec ce nouveau type de famille. En résumé, quelles pistes ma recherche doctorale peut-elle apporter au sujet du travail avec les familles adoptives homoparentales ? Avant toute chose, il est essentiel de prendre en considération que les familles homoparentales sont confrontées à des défis, des « blessures » et des challenges inédits qui sont spécifiques et propres à leur structure familiale.
Du coté des homoparents, il faut considérer que leur construction identitaire est intrinsèquement liée à la façon dont ils ont vécu leur homosexualité, à la stigmatisation qu’ils ont pu rencontrer pendant leur parcours de vie. Quand le désir de fonder une famille apparait, ces parents sont confrontés à un remaniement identitaire dont le but est de dépasser l’interdit d’être parent en étant homosexuel et de construire un sentiment de légitimité en tant que future famille homoparentale. En voulant faire un parallèle, si avec les adoptants hétérosexuels on parle de « blessure de l’infertilité », avec les adoptants homosexuels on peut parler de « blessure d’illégitimité ». Par ailleurs, si les hétéroparents adoptifs doivent souvent composer avec le « deuil de l’enfant biologique », la plupart des homoparents sont confrontés à un autre type de deuil, plus silencieux mais tout aussi douloureux et difficile à surmonter : le « deuil de la générativité hétérosexuelle ». Dès qu’ils accèdent à la parentalité, les homoparents peuvent manifester une certaine résistance à parler et intégrer dans l’imaginaire familial l’origine de l’enfant. Parler des parents de naissance, et particulièrement de la figure parentale du sexe absent, pourrait réactiver les stéréotypes relatifs à l’idée que l’enfant a besoin avant tout d’un père et d’une mère et remettre en discussion leur légitimité en tant que famille homoparentale. D’après nos résultats comparés en fonction des pays, le système législatif peut concourir à ce vécu. En effet, dans certains pays, dont la Belgique, les parents de naissance ont le dernier mot quant à la possibilité de confier leur enfant à l’adoption homoparentale ou non. Ces parents de naissance peuvent alors dans l’imaginaire des homoparents devenir symboliquement la première forme d’évaluation et de discrimination, le premier « aval » à recevoir pour pouvoir poursuivre leur projet parental. Par conséquence, cette figure du parent absent oscille entre la sur-idéalisation et la scotomisation avec une nette prédominance de la seconde situation. Dans le premier cas, les parents de naissance sont idéalisés puisqu’ils leur ont permis de devenir parents. Dans le second, les parents de naissance sont complètement niés ou réduits à « un ventre et une graine » dans une fonction purement de procréation.
Comment cela se passe-t-il du côté de l’enfant ? D’après les résultats de cette étude, ces enfants sont souvent entourés d’amour et d’attention, ce qui représente toujours la meilleure option pour ces derniers. Ils ont la possibilité de grandir avec des parents qui font preuve d’une remarquable dévotion et investissement dans les tâches parentales. En même temps, ces enfants, tout comme leurs parents, font partie d’un système familial nouveau qui engendre des nouveaux défis développementaux. Ils se retrouvent à devoir composer avec le vécu de perte relatif à leur condition adoptive et, en même temps, avec les défis propres à l’homoparentalité. L’intersection de ces deux aspects - adoption et homoparentalité - amène à des résultats inédits. La spécificité de la condition adoptive porte sur le fait que ces enfants savent qu’il existe ou existait quelque part deux personnes, un homme et une femme, un père et une mère, qui leur ont donné naissance. Les parents adoptifs ont le rôle de prendre la place des parents de naissance en comblant le vide laissé par ces derniers. Dans le cas de familles adoptives homoparentales, il y a un siège (paternel ou maternel) qui reste vide, au moins du point de vue purement « physique ». D’un point de vue social, cela renvoie à une idée d’absence dans la mythologie familiale. Pratiquement, à la perte des parents biologiques s’adjoint l’absence d’une figure parentale selon l’orientation sexuelle du couple. L’enfant doit alors trouver des nouvelles modalités pour symboliser la perte de ses parents de naissance, pour réparer sa relation avec les figures d’origine et pour retrouver ces deux fonctions, maternelle et paternelle, indépendamment du sexe biologique de ses parents adoptifs. Par ailleurs, l’absence de cette figure maternelle ou paternelle d’un point de vue psychique, se caractérise par une sur-présence dans la pensée. Par conséquent, cette « maman » ou ce « papa » absent peut devenir extrêmement présent dans l’imaginaire de l’enfant qui peut à un moment donné revendiquer le « droit » d’en avoir un/une à tout prix. Des questions vont alors apparaître : « Pourquoi je n’ai pas de maman ? Pourquoi je n’ai pas de papa ? ». Questions difficiles et épineuses pour les parents qui peuvent avoir « des pincements au cœur » et un sentiment de culpabilité, en craignant que ces questions puissent révéler des difficultés de leur enfant à grandir dans un contexte homoparental. Ces questionnements, loin d’être l’expression d’une souffrance chez les enfants, représentent une étape « normale et nécessaire » à leur construction identitaire. Accorder la possibilité à l’enfant d’exprimer ces questions signifie l’accompagner dans son développement et dans sa quête identitaire. Par ailleurs, trop souvent, les défis rencontrés par les enfants issus des familles homoparentales risquent de devenir un sujet tabou, sur lequel il ne faut surtout pas mettre de mots pour éviter de soulever des débats. Personnellement, je pense qu’il est temps de pouvoir parler et réfléchir ouvertement aux défis des enfants et d’approfondir leur construction identitaire dans le contexte de l’homoparentalité. Comme tout enfant, les enfants des couples homosexuels peuvent rencontrer des difficultés. En parler ne signifie pas les souligner ou discriminer ces familles. Au contraire, cela signifie valoriser leur expérience inédite qui, comme celle de toute autre famille, mérite d’être approfondie. Oser la discussion signifie reconnaitre leur égalité par cette distinction qui les rend uniques et, pratiquement, socialement, le leur permettre.
En conclusion, les familles adoptives homoparentales se situent au carrefour de deux aspects de complexité : l’adoption et l’homoparentalité. En tant que cliniciens, chercheurs, travailleurs sociaux, nous ne pouvons pas nous soustraire à une approche qui prend en compte la spécificité d’une telle situation. Cela veut dire créer et fournir aux professionnels des outils cliniques et des modèles théoriques pensés pour saisir les différents aspects de complexité qu’une telle situation peut engendrer. Cela signifie repenser et réfléchir aux programmes pré et post adoption afin qu’ils puissent mieux accompagner et mieux soutenir ces familles dans leurs tâches développementales. Mais cela veut dire aussi, et surtout, dépasser nos propres préconceptions de la famille, du couple et de la filiation : porter de « nouveaux regards » qui permettent de saisir l’inéluctable richesse et l’unicité dont ces nouvelles géométries familiales sont dépositaires.
Le regard d’une professionnelle d’un pays d’origine sur l’adoption homoparentale
Alphonsine Sawadogo Ouédraogo est Administratrice des Affaires sociales au sein du Ministère de la Femme, de la Solidarité nationale et de la Famille du Burkina Faso. Elle est titulaire d’une licence en sociologie et d’un diplôme d’Etat en travail social. Son expérience professionnelle a notamment porté sur l’élaboration de référentiels et de textes règlementaires relatifs au parrainage, au placement et à l’adoption. De septembre 2007 à août 2013, elle a exercé d’importantes responsabilités à l’Autorité centrale burkinabè en matière d’adoption. Depuis septembre 2013, elle assiste les pays d’origine dans la mise en conformité de leur législation et de leurs pratiques avec la Convention de La Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale
L’adoption homoparentale signifie ici, l’adoption et l’éducation d’un enfant par un couple homosexuel, c’est-à-dire de même sexe (homme-homme; femme-femme). L'adoption est l’une des voies pour les hommes gays et les femmes lesbiennes de fonder une famille. Cependant, le statut de couple de même sexe demeure, pour les candidats à l’adoption, un réel obstacle à la réalisation de leur projet de devenir parents dans bien des pays d’origine d’Afrique. En effet, il y a encore beaucoup de questionnements autour de l’homoparentalité en ce qu’elle touche la sensibilité de la conscience sociale à divers niveaux: idéologique, philosophique, juridique, socioculturel, traditionnel et religieux, en lien avec le fondamental que sont la conception et l’éducation des enfants dans le cadre de la perpétuation de l’humanité. Ces diverses préoccupations socioculturelles, religieuses, juridiques etc. ont des fondements en termes de valeurs sociétales qui les sous-tendent et qui malheureusement et le plus souvent, restent sans réponse, rendant encore taboue l’adoption des enfants par des couples de même sexe dans beaucoup de pays.
Sur le plan socioculturel et traditionnel Du point de vue conceptuel, la vision et la conception du monde qu’ont les Africains ont des répercussions et des implications fondamentales sur la perception de l’homoparentalité, qu’ils perçoivent comme contre nature. Ils accordent encore beaucoup d’importance au mariage et à la procréation. Pour la plupart des pays Africains, le mariage est synonyme de procréation. Il va sans dire que d’office un couple homme-homme ou femme-femme équivaut à l’arrêt de la conception, des naissances et de perpétuation de la vie humaine. Du fait de cette conception, tout ce qui touche à la procréation et à l’enfantement en termes de limitation ou d’arrêt, est systématiquement rejeté et combattu avec la dernière énergie, parfois au prix de la vie. C’est l’exemple du planning familial avec les méthodes contraceptives. Dans la plupart des cas, le planning familial, qui permet l’espacement des naissances, n’est absolument pas pratiqué.
Par ailleurs, il y a beaucoup de valeurs qui sont attendues et qui sous-tendent le mariage. C’est pourquoi, le mariage sans enfants est vu comme un châtiment divin. Après un décès, la veuve ou le veuf est systématiquement remarié-e (lévirat ou sororat) car il lui faut l’homme ou la femme pour poursuivre la procréation et l’éducation des enfants, s’il y a lieu.
En outre, les couples éduquent ensemble leurs progénitures en fonction du rôle joué par l’un ou l’autre sexe dans la société. En effet, certaines pratiques éducatives sont d’obédience féminine, et vice-versa, et l’autre sexe ne peut s’y immiscer. C’est l’exemple de la préparation des repas, qui est uniquement féminine: un homme ne prépare jamais le repas. Tuer un animal relève uniquement de l’homme. Etant un couple de même sexe, la transmission de cette complémentarité de l’être humain aux enfants adoptés pour qu’ils puissent plus tard être complémentaires en fonction de leur sexe pose problème. N’oublions pas que cette nécessaire complémentarité participe à la stabilité de la société, selon «l’Essai sur le don» de Marcel Mauss1 : «donner-recevoir-rendre». Si je sais que j’ai besoin de l’autre parce qu’il est différent, parce qu’il y a des choses qu’il peut faire et que moi je ne le peux pas, car interdites par la conscience collective, je suis obligé de le respecter et de l’accepter tel qu’il a été créé et admis dans ses fonctions sociales. Autrement, ce serait « chacun pour soi ». C’est pourquoi beaucoup de parents biologiques gardent toujours l’espoir et prient pour que leurs enfants aient la même culture qu’eux. Ce sont là autant de considérations et de conceptions socio-culturelles et traditionnelles qui peuvent limiter l’adoption homoparentale dans certains pays d’origine, notamment d’Afrique.
Au plan religieux et éthique La conception religieuse (musulmane, chrétienne, animiste, etc.) est encore très ancrée en Afrique, particulièrement au Burkina Faso. La Bible dit ceci : « multipliez-vous et remplissez la terre ». Cela implique que l’homosexualité sera combattue. C’est le cas également du planning familial avec les méthodes contraceptives qui sont difficilement acceptées par beaucoup de religieux à cause de cette vision restrictive d’enfanter. Ensuite, « homme et femme, Dieu les créa » depuis la naissance de l’humanité, et «l’enfant est une richesse », dans la conception traditionnelle. Toutes ces conceptions et façons de voir le monde et l’humanité, font que les gens rejettent systématiquement l’homoparentalité dans beaucoup de pays d’origine.
Sur le plan juridique et administratif L’homoparentalité n'est pas reconnue par la majorité des législations des pays d’origine. Les textes juridiques actuels le sont sur les aspects fondamentaux tels que « le mariage est hétérosexuel ». Ces textes trouvent leur fondement dans la genèse de la société et dans la religion. Ce sont d’abord des conceptions et des pratiques qui sont ensuite codifiées comme telles. Les textes de loi consacrent le mariage hétérosexuel qui tire son fondement de la conscience collective. C’est parce que les gens l’acceptent comme tel qu’on le concède comme un droit inviolable.
Ce qu’il faut retenir L’adoption par des couples de même sexe n’est pas sans susciter dans nos pays quelques interrogations, notamment en ce qui concerne les conséquences éventuelles, pour l’enfant, d’être élevé dans une famille homoparentale, en grande opposition avec sa culture d’origine. L’environnement influençant l’évolution de l’être humain, il va sans dire qu’il y aura des répercussions sur ces enfants adoptés par des couples de même sexe. Quand l'enfant va prendre conscience que sa famille est différente des autres, quelle sera sa réaction et comment les parents adoptifs gèreront-ils ses réactions? Comment les différences seront-elles gérées en termes d’éducation en fonction des rôles de chaque parent, etc. ?
Les réalités culturelles, religieuses et légales dans certains pays d’origine limitent cette possibilité. Il sera peut-être indiqué de mener des études pour en savoir davantage, et de sensibiliser les uns et les autres à la modestie et à l’acceptation des différences. Mais, pour l’heure, les mentalités sont encore réfractaires. Cela justifie qu’à l’étape actuelle, il est plus indiqué de respecter et de faire respecter la conception de chaque pays dans toute sa dimension socio-culturelle religieuse, juridique, etc., en laissant le temps donner raison à l’une ou l’autre conception.
1 Socio-anthropologue français du 19ème siècle, auteur de "Essai sur le don". Forme et raison de l'échange dans les sociétés archaïques »
YAPAKA
Pour ceux et celles qui souhaitent approfondir leurs réflexions, le site de YAPAKA de la Fédération Wallonie-Bruxelles propose également différents outils-médias sur les sujets de l’homosexualité et de l’homoparentalité.
Deux vidéos, réalisées sur base d’entretiens avec des professionnels, abordent des questions en lien avec l’homoparentalité : « Deux hommes peuvent-ils élever un enfant ensemble ? » (entretien avec Daniel COUM) et « Comment dénommer le second parent ? » (entretien avec Pascale GUSTIN).
Un texte, intitulé « Les enfants de couples homosexuels », analyse certaines spécificités de l’homoparentalité sous l’angle des besoins et du développement de l’enfant.
Enfin, dans la collection Temps d’Arrêt-Lectures, le livre « Homoparentalités » de Suzann HEENEN-WOLFF, psychanalyste, psychologue et professeur de psychologie clinique à l’UCL, tire au clair certaines questions sur l’homosexualité et l’homoparentalité en prenant en compte quelques-unes des nombreuses études réalisées sur le sujet durant ces trente dernières années.
L'adoption homoparentale en quelques chiffres
→ La part prise par les couples de même sexe dans l’ensemble des inscriptions au cycle de préparation à une adoption extrafamiliale est très faible : 3 % pour les couples d’hommes et 0,5 % pour les couples de femmes. Les couples de sexe différent constituent quant à eux 79,3 % du total de ces inscriptions, les femmes célibataires 15,8 % et les hommes célibataires 1,4 %.
→ Depuis ces dernières années, on constate une augmentation lente mais régulière des inscriptions de couples de même sexe au cycle de préparation à une adoption extrafamiliale.
* inscriptions à partir du 01/07/2006
→ Quelle est la part prise respectivement par chaque catégorie de candidats adoptants dans le nombre total d'adoptions extrafamiliales recensées en F.W.B ?
→ Sans doute n’est-il pas inintéressant de comparer la « probabilité » de concrétiser son projet d’adoption selon la catégorie de candidat adoptant à laquelle on appartient.
Ces pourcentages ont été obtenus en rapportant, pour chaque catégorie de candidats adoptants, le nombre d’adoptions réalisées en date du 31.12.2016 par cette catégorie sur le nombre de candidats adoptants de cette même catégorie s’étant inscrits entre le 01.07.2006 et le 31.12.2016 à un cycle de préparation à une adoption extrafamiliale. Il est à noter que, pour ces mêmes groupes de candidats adoptants, tous ces pourcentages sont amenés à augmenter sensiblement dans les mois et les années qui viennent dans la mesure où le temps d’attente avant d’accueillir un enfant peut être de plusieurs années (par exemple, un candidat adoptant inscrit en 2016, adoptera vraisemblablement après 2017).
→ Si on limite la concrétisation du projet aux seules adoptions internes, la comparaison en est sensiblement modifiée ; les remarques précédentes s’appliquent également à ces pourcentages.
Les couples de même sexe (hommes ou femmes) n'ayant accès de facto qu'à l'adoption interne, ces pourcentages de ces deux catégories de candidats adoptants sont identiques à ceux du tableau précédent.
Atelier de travail à Ouagadougou
En partenariat avec le Bureau permanent de la Conférence de La Haye et la Mission de l’adoption internationale (MAI, l’autorité centrale française), la Direction de l’Adoption-ACC a organisé du 17 au 19 janvier 2017 à Ouagadougou (Burkina Faso) un atelier de travail consacré à un « Retour d’expériences sur la mise en œuvre effective de la Convention de La Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale ».
Plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée et Togo) et Haïti ont participé à cette rencontre ainsi que des représentants de l’UNICEF et du Service social international (SSI).
Plusieurs thématiques ont été abordées par la vingtaine de participants : intégration de l’adoption dans le système de protection de l’enfance (en particulier la subsidiarité de l’adoption), les lenteurs dans la procédure d’établissement de l’adoptabilité et dans la procédure d’adoption, la régulation du nombre d’OAA et des dossiers d’adoption, la coopération entre Etats d’origine et Etats d’accueil, les aspects financiers et la prévention des pratiques illicites.
Cet atelier de travail a été l’occasion pour l’ACC de défendre ses principales options en matière d’adoption internationale dont l’instauration d’une véritable coresponsabilité entre pays d’accueil et pays d’origine, coresponsabilité devant s’exprimer par davantage de prise de responsabilités directes de la part des autorités centrales des pays d’accueil et par un renforcement des exigences faites aux OAA.
République dominicaine et Haïti
La Direction de l’Adoption-ACC a effectué du 9 au 17 février une mission en République dominicaine et en Haïti.
La partie dominicaine de cette mission a permis à l’ACC de se présenter officiellement auprès de son homologue le CONANI (Consejo Nacional para la ninez y la Adolescencia) mais également de visiter une maison d’enfants à Santo Domingo, d’avoir une séance de travail avec les collaborateurs locaux de l’OAA A la Croisée des Chemins et de rendre visite à une famille belge en cours de procédure d’adoption.
Pendant le séjour à Port-au-Prince, une journée a été consacrée à une séance de travail avec les responsables des principaux départements de l’IBESR (Institut de Bien-Etre social et de Recherches), désignée comme autorité centrale haïtienne. Les différentes étapes de la procédure d’abandon et de la procédure d’adoption ont ainsi pu être décryptées, mettant ainsi en évidence les grands progrès réalisés ces dernières années par les autorités haïtiennes mais aussi les améliorations à encore apporter au dispositif pendant cette période de transition.
Une autre journée s’est déroulée à Croix-des-Bouquets, commune située dans la banlieue de Port-au-Prince et où s’est implantée récemment l’institution Enfant haïtien, mon frère, (voir photo) avec laquelle les OAA de la Fédération Wallonie-Bruxelles entretiennent un partenariat depuis plus de 30 ans. Des séances de travail se sont tenues avec les responsables de la Mairie de Croix-des-Bouquets (dans la législation haïtienne, le maire joue un rôle très important dans l’établissement de l’acte de naissance des enfants abandonnés ainsi que dans l’expression du consentement à leur éventuelle adoption), avec la Juge des enfants du tribunal de Croix-des-Bouquets, avec la représentante officielle des OAA Enfants de l’Espoir et SDEL ainsi qu’avec les responsables de l’institution Enfant haïtien, mon frère où plusieurs enfants font actuellement l’objet d’une procédure d’adoption oui d’apparentement.
Guinée et Côte d'Ivoire
La Direction de l’Adoption-ACC a effectué du 4 au 11 mars une mission en Côte d’Ivoire et en Guinée.
La mission en Guinée était une première mission d’investigations, en vue d’ouvrir une nouvelle collaboration dans un pays en voie de restructuration pour répondre aux exigences de la Convention de La Haye. Jusqu’ici, l’ACC n’avait pas autorisé d’OAA à collaborer avec la Guinée, ce pays n’apportant pas suffisamment de garanties en matière d’adoption.
L’ACC, accompagnée de la coordinatrice de SDEL, a pu rencontrer les principaux acteurs de la protection de l’enfance et de l’adoption en Guinée : Ministre compétente, acteurs (ministériels) de la protection de l’enfance et de l’adoption, travailleurs sociaux de proximité, magistrats (siège et parquet), police des mœurs, avocat, responsables d’institutions d’enfants, autorités diplomatiques belges ; elle a également eu l’occasion de visiter quelques maisons d’enfants.
Ces différentes rencontres ont permis de se rendre compte de l’importance des réformes en cours en Guinée en matière d’adoption internationale ; l’on sent non seulement une bonne compréhension des principes de cette Convention, mais également une volonté de mettre en place une procédure respectant véritablement ces principes.
L’objectif d’un début de collaboration avec la Guinée semble en bonne voie d’être atteint. Au vu de l’énorme travail accompli par l’Autorité guinéenne pour apporter aux procédures toutes les garanties exigées par la Convention de La Haye, l’ACC avait autorisé l’OAA SDEL à demander son accréditation, et celle-ci a été obtenue pendant le séjour à Conakry. Par ailleurs, les textes législatifs mettant en œuvre une procédure fiable seront prêts prochainement, et les garanties seront alors présentes pour déposer les premiers dossiers de candidats adoptants en Guinée.
Pour aider la Direction nationale de l’Enfance dans la mise en œuvre de sa réforme, l’ACC participera, aux côtés du VCA (Autorité centrale flamande) et de la MAI (Autorité centrale française) à un programme de formation des travailleurs sociaux amenés à réaliser sur place les enquêtes sociales sur l’adoptabilité des enfants guinéens.
La Côte d’Ivoire a suspendu depuis plusieurs mois l’envoi de nouveaux dossiers, afin de prendre le temps de mettre en place de nouvelles procédures, suite à sa récente ratification de la Convention de La Haye. Profitant de la proximité de la Guinée, un bref passage en Côte d’Ivoire a permis de faire le point, avec l’Autorité centrale ivoirienne, ainsi qu’avec les partenaires locaux de l’OAA Amarna, tant sur la levée d’interdiction d’envoi de nouveaux dossiers, que sur certaines difficultés pratiques dans les procédures en cours.
A notre collègue Dominique
Dominique Cattry était membre de l’équipe de la Direction de l’Adoption-ACC et secrétaire du Conseil supérieur de l’Adoption (CoSA). Il participait également au comité de rédaction de cette Lettre d’Information depuis sa création. Il nous a quittés ce 15 mars 2017, à l’âge de 61 ans, après un long combat contre la maladie. Adieu, Dominique …
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